Vis ma vie d’entreprise à mission
Episode 2 : Crise de nerfs

Devenir une entreprise à mission relève-t-il du parcours du combattant ou de la quête philosophique ? Anne de Saint-Périer, directrice de la com’ de GlobeSailor, entreprise en pleine introspection, nous raconte ici son ressenti et ses atermoiements. Dans ce nouvel épisode, on retrouve Anne et son désespoir face à l’immensité de la société à mission.

​Je suis une femme au bord de la crise de nerfs. Plus j’avance sur la question de l’écologie et des sociétés à missions, plus je m’aperçois qu’il est très dur de trouver les vraies bonnes infos et les vraies bonnes solutions. Parfois (et de plus en plus souvent) j’ai envie de tout envoyer balader pour aller vivre en autonomie dans la forêt. Oui. J’ai des fringales de radicalisation écolo. Des pulsions de fanatisme vert. J’ai l’impression qu’il est plus facile de ne faire aucune concession que de trouver des compromis. Et la société à mission, c’est le compromis qui nous est proposé pour continuer d’avancer dans le respect de l’environnement et de l’humain, sans renoncer au capitalisme. Cette idée est belle, mais elle est compliquée à comprendre et à mettre en place.

​Avant de présenter les choses à mon patron, il faut que je les digère, et je veux aussi apporter les solutions et le plan d’action. Je n’ai pas l’habitude d’arriver les mains dans les poches, donc là je dois les remplir d’une expertise que je lutte à acquérir. L’entreprise à mission, c’est un énorme panier dans lequel grouillent tout un tas de concepts qui tant qu’on en parle et qu’on n’en fait rien, restent totalement abstraits. Et comme c’est tout frais, y a pas beaucoup d’infos sur le web…

J’ai donc lu le Décryptage de la colloc à ce sujet. Pour mieux comprendre. ​Je sais déjà qu’une entreprise à mission se donne pour objectif d’avoir un impact positif au niveau humain et environnemental. Le principe est clair, net, et sans bavure. D’après ce que j’ai lu, mon agence doit prendre 5 engagements :

1.       L’engagement à produire un impact sociétal. D’emblée je ne sais pas ce que « sociétal » veut dire et Google non plus car il me suggère « social » quand je tape ma recherche et tient à m’expliquer ce que veut dire « social » et non « sociétal ». Je dois donc tirer une interprétation d’après les résultats non pertinents de Google. Donc avoir un impact sociétal, pour moi, ça veut dire que GlobeSailor doit avoir un impact (positif je suppose) sur la société. Au-delà de faire plaisir à tout le monde en permettant des vacances de rêve, il faut avoir une influence positive qui oriente dans le bon sens (commun) les personnes avec lesquelles nous sommes en interaction. Que ce soit au sein de notre agence, avec nos partenaires ou nos clients. Ça reste encore super abstrait…. Concrètement ça veut dire quoi ? Là encore, je me permets d’interpréter… Je pense que ça veut dire que chaque euro qu’un client dépense dans notre agence doit être utilisé vertueusement : pour rémunérer des salariés qui sont respectés et considérés dans leur travail, des armateurs qui travaillent aussi dans le respect de leur main d’œuvre, de leur flotte, de leurs clients, de leur environnement, et enfin pour payer des prestataires qui eux aussi respectent tout de A à Z. Produire un impact sociétal veut dire qu’un client en passant par notre agence, finance une économie vertueuse qui agit positivement sur tous les aspects de la vie sociale des acteurs qui la composent. J’ai bon ?

2.       La formalisation d’une mission spécifique en définissant sa « raison d’être et ses objectifs » – Alors là, c’est un process hyper long et complexe, qu’on vient de faire au sein de notre agence mais sans le faire dans le cadre de la société à mission, puisque je n’ai pas fini mon travail de défrichage sur le sujet. Mais quand on a défini notre raison d’être et nos objectifs, la question environnementale a été intégrée, et plutôt que d’être au cœur, elle englobe tout. Seulement si l’on regarde le cahier des charges des sociétés à mission tout cela doit être écrit dans les statuts de notre entreprise. Il faudra donc refaire ce travail de réflexion et réécrire nos statuts. Ce qui ne va pas plaire à tout le monde, mais à cœur vaillant, rien d’impossible !

3.       La cohérence du modèle économique avec la mission : là c’est carrément super chaud. C’est la partie qui me prend le plus la tête. L’avion, l’avion l’avion !! Je cherche des solutions tous azimuts ! C’est d’un compliqué !! Si la mission est de respecter l’environnement, comment je fais pour ne pas me tirer une balle dans le pied quand notre agence de voyages tire une partie de son chiffre d’affaires (la saison d’hiver) aux antipodes, uniquement accessibles par avion ? Il n’y a pas de cohérence du modèle économique de notre agence avec la mission ! Vous, vous pensez à des solutions et vous allez me dire : « ET la compensation carbone alors ? ». Et bien c’est du bullshit la compensation carbone ! C’est du colonialisme vert, ma copine Sido a écrit un article sur le sujet ​on en avait parlé la dernière fois si vous suivez bien. Donc la compensation par les arbres, c’est définitivement non.

Mais je ne lâche pas le morceau et je cherche d’autres solutions pour le problème de l’aérien : Aurélien de chez Double Sens, une agence de voyages éthiques, me dit qu’il propose la compensation des billets d’avion en permettant aux passagers de financer des fours solaires qui permettent de réduire la déforestation dans les pays en voie de développement dont la population utilise du bois pour cuisiner. ​Mais c’est génial ça Aurélien ! Au lieu de replanter des arbres, tu empêches qu’on les coupe ! Elle est idéale cette solution ! J’en parle à un autre ami, Victor, qui travaille dans la réduction des émissions des cargos et qui a fait toute sa carrière dans le développement durable. Il me dit que proposer un four solaire à ces populations pour leur cuisine c’est comme leur demander de rôtir un poulet au micro-ondes. Le rendu n’est pas bon. Le bois donne un goût, une consistance que le four solaire n’égale pas. Donc le four solaire n’est pas adapté. Les calculs sont pas bons Kevin. C’est encore ces sociétés occidentales qui proposent des solutions non adaptées qui in fine ne seront pas utilisées par les principaux concernés. Donc on jette l’argent des passagers par les hublots de leurs avions et in fine leur geste s’avère avoir un impact négatif, à l’opposé de ce qu’ils espéraient. Ils auraient mieux fait de prendre un billet d’avion sans compensation en fait ! On marche sur la tête. ​Toutefois l’avion n’est pas tout, il ne représente qu’une partie de nos clients et nous avons déjà d’autres idées pour réduire l’impact de nos croisières. Je ne cède donc pas à la panique, je reste concentrée sur l’objectif et je procède à la suite de la dissection des engagements.

4.       Un engagement à partager équitablement la valeur créée : là c’est clair. C’est bien sûr l’intéressement aux bénéfices ! Que dit internet ? Internet n’a pas l’info. Faudra poser la question.

5.       L’évaluation de la mission en se dotant d’un comité de suivi et en publiant un rapport annuel. Là aussi c’est clair, il faut mettre en place en interne un moyen de contrôle de l’application des engagements pris et faire le point une fois par an.

J’espère avoir tout compris. Pour vérifier la justesse de mes réflexions j’essaie d’avoir un contact avec un adhérent de l’association des sociétés à missions. Je trouve miraculeusement et après beaucoup de recherches, un numéro de téléphone d’une des sociétés fondatrices de cette association. On me dit que tout se fait de manière bénévole et que personne n’a de temps à donner pour répondre aux infos. Des dîners et des rencontres sont organisés à Paris, régulièrement, il faut s’y rendre. Oui mais moi je suis à Crozon madame ! Je fais comment, je prends l’avion ? Qu’est-ce qu’on rigole.

L’idéal serait que cette asso aie des antennes en région, et que via l’antenne bretonne, je puisse me mettre en relation avec des entreprises du tourisme qui souhaitent aller dans le bon sens pour que nous répondions ensemble aux problématiques propres à notre secteur.

La Colloc, des idées ? 😉

Anne de Saint-Périer

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