« Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s’il est libre, la pire, s’il est serf ». Propos sur le bonheur, Alain, 1925.
« A tous ceux qui sont déjà au travail, nous vous souhaitons bonne chance et à ceux qui s’y rendent, bon courage ». Cette phrase d’encouragement, je l’entends tous les matins à la radio. Et selon moi, elle reflète la grande complexité de notre rapport au travail : si on assimile souvent le travail à une forme contemporaine de servitude obligatoire, on aspire aussi à y trouver une source d’épanouissement et de créativité, voire de libération.
J’ai souhaité faire un décryptage sur cette problématique, afin que chacun d’entre nous puisse se poser la question de son propre rapport au travail. Il me semble que c’est une réflexion essentielle à mener pour se tourner vers un avenir plus durable.
Commençons par une petite chronologie pour se mettre en jambes.
Dès l’origine du mot « travail », ça part mal. L’antique trepalium n’est autre qu’un instrument de torture. Le travail est une peine. C’est aussi notre seul moyen de nous procurer biens et services. En gros, il faut trimer pour manger. Et la recherche du bonheur à travers notre travail n’a pas toujours été la grande priorité.
#A la préhistoire, le travail n’existe pas. Nous chassons le mammouth pour survivre.
#-10 000 av. J-C, le travail est dans la terre. Nous commençons à nous installer, nous délimitons nos terres et nous les exploitons.
#Dans l’antiquité, travailler signifie être esclave. Un homme libre ne se rabaisse pas une tâche aussi ingrate.
#Au moyen-âge, le travail est une corvée vertueuse. La religion dicte nos choix « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
#Au XVIIIème siècle, le travail commence à être valorisé. Le siècle des Lumières voit le travail sous un jour positif. Il permet aux hommes de gagner en autonomie.
#Au XIXème siècle, le travail permet le progrès. C’est la révolution industrielle, vive le capitalisme ! C’est là que nous commençons à avoir une vision plus contemporaine du travail.
#Au XXème siècle, tout le monde travaille ! Même les femmes, car les hommes sont en guerre. Vive la productivité, la production de masse et les congés payés !
#Aujourd’hui, nous sommes en quête de sens. Notre rapport au travail est conflictuel. Avec le chômage et l’insécurité économique depuis la crise de 2008, avoir un boulot, c’est plutôt bon signe. Mais cela ne nous empêche pas de nous poser des questions. Mon travail a-t-il un sens ? Un robot va-t-il prendre ma place ? Vais-je avoir une retraite ? Suis-je épanouie ?
Dans son dossier, Qu’est-ce qu’on fait explore plusieurs pistes de réflexion sur l’épanouissement au travail.
1 –Le salaire reste-t-il le principal facteur de motivation au travail ? Oui, pour plus de la moitié des Français, notamment parce que c’est une vraie composante de reconnaissance. Mais, c’est aussi le premier motif d’insatisfaction. Le salaire est le fruit d’une négociation subjective entre deux parties et le facteur d’un climat ultra concurrentiel. Deux constats s’imposent : l’avantage reste encore à l’employeur et les différences de salaires hommes-femmes persistent en 2017. Autre conclusion du magazine, dans la mesure où le salaire n’est pas forcément basé sur l’utilité sociale de notre travail, et certainement pas sur la pénibilité ou encore la production individuelle, il semble très difficile de définir une rémunération juste.
2 – 30 % des travailleurs souffrent d’un mal-être psychologique au travail (d’après une étude DARES réalisée en 2013). La crise de 2008 a bouleversé les paradigmes et les individus acceptent désormais l’inacceptable ; les conditions de travail se sont dégradées et les droits se sont fragilisés. La souffrance au travail s’est accentuée : plus de pression, perte d’autonomie, obligation de rendement, culture de la réussite.
Ce mal être au travail a un vrai coût pour les entreprises (arrêts de travail, pas d’engagement, etc.) et elles sont nombreuses à s’attaquer au problème. Il faut bien sûr améliorer les conditions de travail, mais ce n’est pas tout.
3 – Désormais, la quête de sens prime, quelque soit notre activité. Ce que nous faisons est important pour notre équilibre mental. Nous avons besoin de rencontres, de coopérations, d’exprimer notre singularité et nos capacités, d’obtenir de la reconnaissance. D’après le sociologue Dominique Méda, lorsque l’on ne trouve aucun sens à ce que l’on fait, l’impact peut être très grave (retrait, prise de médicament, etc.). Alors quelles solutions ?
4 – Travailler moins pour être plus heureux ? Diminuer le temps plein à 30 heures, afin que la répartition du travail au sein de notre société soit plus égalitaire, est l’une des options. Les femmes et les hommes partageraient les tâches familiales et pourraient consacrer leur temps libre à d’autres activités. Mais pour que cette transition soit viable, il faut que tous les acteurs du travail jouent le jeu, et pas seulement une partie.
4 – Peut-être simplement que la notion de « bonheur au travail » est trop ambitieuse. Il faut reconnaître qu’elle dépend de différentes dimensions subjectives et contradictoires :
- La production >> richesse et profit
- Le sens >> accomplissement et épanouissement
- La distribution >> droits et protection
Serait-il plus pertinent de parler de « travail décent » plutôt que de « bonheur au travail » ?
5 – Quid des emplois de demain ? Ils dépendront de notre gestion des évolutions technologiques et de notre engagement social et environnemental. Plus nous prendrons conscience de la nécessité de changer nos modes de consommation et de production, plus nous imaginerons les emplois de demain, dans les services de soins, l’agriculture, les énergies renouvelables, les nouvelles technologies ! Oui, c’est indéniable, nous sommes à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle, mais non, nous n’allons pas faire disparaître 50 % de nos emplois, nous allons nous réinventer.
Il faut garder l’esprit ouvert et cela commence maintenant.
Et à la Colloc, ça se passe comment ?
Et vous ? Qu’est-ce qui vous rend heureux au travail ?
Nous sommes persuadées que DEMAIN (si ce n’est pas déjà le cas), le travail sera PASSION. Mais c’est un autre sujet, à retrouver dans une prochaine édito.
N.B : Toutes mes sources proviennent d’un dossier thématique sur le travail, issu du magazine Qu’est-ce qu’on fait (Qqf, n°1, novembre 2017). Si vous voulez en savoir plus, le magazine est disponible en lecture à La Colloc, n’hésitez pas à venir le consulter.